Le Dr Jihane Bayadi-Hervias, cheffe de service des Maladies du foie et de l’appareil digestif (MFAD) depuis le 1er janvier 2024, s’est confiée sur la prise en charge des cancers digestifs au Centre Hospitalier Centre Bretagne.
Docteur, comment sont dépistés les cancers digestifs ici, au CHCB ?
Pour le cancer du côlon, les stratégies de dépistage se déclinent selon le niveau de risque du cancer colorectal (CCR) : un dépistage national est organisé pour les personnes à risque modéré reposant sur la réalisation d’un test immunologique de recherche de sang occulte dans les selles. En cas de résultat positif, nous réalisons une coloscopie pour en savoir plus. Pour les personnes à risque élevé ou à risque très élevé, on réalise un dépistage individualisé, qui passe d’emblée par la réalisation d’une coloscopie.
Les médecins traitants ont un rôle clé pour évaluer le niveau de risque de CCR de leurs patients (antécédents personnels et familiaux, existence ou non de symptômes), les orienter vers la bonne filière de dépistage et proposer la modalité de dépistage adaptée à leur niveau de risque.
En MFAD, On informe et sensibilise à ce test tout au long de l’année, et en particulier à l’occasion de Mars Bleu, qui est le mois de sensibilisation aux cancers colorectaux.
Pour le cancer du foie, tous les patients cirrhotiques sont à risque de développer un cancer sur leur foie de cirrhose. Nous les surveillons tous les 6 mois avec une Biologie et une échographie, et si besoin un Scanner ou une IRM.
Pour le cancer de l’estomac, s’il existe des antécédents familiaux au premier degré (parents), il est recommandé d’effectuer surtout à partir de 40/45 ans un examen de l’estomac par gastroscopie. En cas de présence dans l’estomac de l’Helicobacter Pylori, ces biopsies permettront de savoir s’il existe des lésions précancéreuses associées : métaplasie intestinale, atrophie, dysplasie de bas grade ou de haut grade. En présence d’un Helicobacter Pylori dans l’estomac, il est important de l’éradiquer à l’aide d’un traitement antibiotique adapté puis de vérifier que cette éradication a été efficace avec la réalisation du test respiratoire à l’urée un mois après la fin du traitement antibiotique et en dehors de toute prise d’IPP* depuis au moins 2 semaines. Il est important de réaliser un examen de l’estomac en cas de symptômes gastriques (douleur de l’estomac, difficultés pour digérer, selles noires) apparaissant à partir de 45/50 ans ou persistants avant cet âge. Certaines anomalies lors d’un bilan sanguin peuvent inciter à réaliser un examen de l’estomac comme l’anémie par carence en fer ou par carence en vitamine B 12 notamment.
La détection du cancer du pancréas est plus complexe car le dépistage n’est pas systématique. Souvent, nous décelons ces lésions lors d’un scanner après qu’un patient ait contracté une pancréatite ou fortuitement quand le scanner est motivé par d’autres symptômes. Ce n’est donc pas forcément un dépistage à proprement parler, mais plutôt une suite d’éléments qui font que nous allons nous poser des questions. Idéalement la détection précoce est essentielle pour améliorer les chances de guérison, car le cancer du pancréas ne présente généralement aucun symptôme à un stade précoce. A l’heure actuelle, il n’existe pas de dépistage systématique du cancer du pancréas.
Pour le cancer de l’œsophage. Le dépistage systématique n’existe pas non plus, nous réalisons une fibroscopie pour surveiller les endobrachyœsophage (EBO). Ce sont des lésions bénignes dont le risque principal est l’évolution vers le cancer. Elles sont surveillées attentivement par fibroscopie gastrique. Je recommande vivement aux personnes dont des membres de la famille sont atteints d’un endobrachyœsophage (EBO) de réaliser un dépistage par fibroscopie après 40 ans.
Pour le cancer anal, en l’absence de facteurs de risque, le dépistage systématique n’est pas recommandé. En revanche, il est essentiel que toute personne présentant des symptômes proctologiques (boule, tuméfaction, saignements, douleurs, démangeaisons) consulte un spécialiste.
Comment fonctionnent les endoscopies ?
Les endoscopies digestives sont des examens d’imagerie médicale destinés à visualiser et à explorer la paroi interne du tube digestif (la « muqueuse ») par le biais d’un câble souple introduit par la bouche ou l’anus, et équipé d’un système d’éclairage et d’une caméra vidéo miniaturisée.
Elles sont destinées au diagnostic ou à des interventions endoscopiques. Les endoscopies digestives nécessitent fréquemment une anesthésie générale légère et une hospitalisation d’une journée. L’endoscopie digestive basse (« coloscopie ») demande une préparation rigoureuse au cours des deux journées précédant l’examen.
Le rôle de l’endoscopie est donc de dépister les lésions pré-cancéreuses qui peuvent être liées à différentes causes comme une gastrite chronique, la présence d’Helicobacter Pylori ou une gastrite chronique atrophique par exemple. Cela nous permet ensuite de faire l’exérèse des lésions pré-cancéreuses par voie endoscopique, c’est-à-dire de retirer une anomalie. Dans chacun des exemples que je viens de citer, une surveillance par endoscopie est recommandée par la suite.
Quel est le parcours suivi par les patients ?
Le premier contact se fait généralement lors d’une consultation suite à un test immunologique des selles positif. Cela peut-être aussi parce qu’ils ont des antécédents familiaux de premier degré de cancer colique ou suite à certains symptômes, comme l’anémie ou les troubles du transit bien souvent. Cela donne lieu à l’organisation d’une fibroscopie et/ou d’une coloscopie.
Les patients peuvent être admis en hospitalisation suite à une consultation, à un passage aux Urgences ou en étant adressés directement par leur médecin traitant. C’est le parcours que je privilégie car en travaillant de cette manière avec les médecins de ville pour des admissions directes, nous évitons un long parcours avec un passage aux Urgences pour les patients. Cela nous permet également de gagner un temps précieux sur la programmation des examens.
Après les examens, le bilan pré-thérapeutique permet de passer à une autre phase, celle de l’évaluation de la maladie. Nous allons poser un diagnostic précis, savoir à quel stade de la maladie nous sommes, est-ce que la tumeur est localisée ou non… C’est le moment crucial pour statuer sur un pronostic et proposer le traitement adapté. On va se baser sur un scanner complet thoraco-abdomino-pelvien, parfois un TEP Scan, sur les marqueurs, sur le bilan nutritionnel… Une bonne nutrition est essentielle pour supporter les traitements, que ce soit la chirurgie, la chimiothérapie ou la radiothérapie.
Une fois ce bilan finalisé, je reçois les patients pour l’annonce de la maladie et aussi pour les prévenir que le choix du traitement sera discuté lors d’une réunion collégiale (RCP) avec d’autres praticiens morbihannais de plusieurs spécialités. En l’occurrence pour nous, cela se fait avec les praticiens de Vannes tous les lundis. Et nous statuons ensemble sur le traitement que nous allons proposer à chacun de nos patients.
Ensuite, nous allons prendre les rendez-vous pour le patient, avec l’oncologue, le radiothérapeute… Quand il s’agit d’une tumeur occlusive localisée, nous prévenons immédiatement le chirurgien pour opérer. Nous travaillons en très bonne intelligence avec l’équipe de chirurgie viscérale du Dr Cunin.
Encore hier, j’ai réalisé l’endoscopie d’une de mes patientes le matin, nous avons pu programmer un scanner dans la foulée et un rendez-vous avec le chirurgien à 15h30. Cela lui a évité deux déplacements pour la consultation et l’examen. C’est ce que nous essayons de faire pour tous nos patients.
Existe-t-il un dispositif d’annonce particulier ?
Oui. Ce n’est pas toujours simple, bien sûr, parce qu’on va annoncer à des personnes qui, parfois, ont vécu une vie sans aucun problème de santé, qu’elles sont atteintes d’un cancer. Peut-être même métastatique. Ce n’est pas simple.
Le dispositif d’annonce prévoit des temps de discussion et d’explication sur la maladie et les traitements afin d’apporter au patient une information adaptée, progressive et respectueuse :
> un temps médical comprenant l’annonce du diagnostic et la proposition de traitement,
> un temps d’accompagnement soignant permettant au malade ainsi qu’à ses proches de compléter les informations médicales reçues, de l’informer sur ses droits.
> un temps de soutien proposant un accompagnement social et l’accès à différents soins de support (psychologue, kinésithérapeute, prise en charge de la douleur, etc.).
> un temps d’articulation avec la médecine de ville pour optimiser la bonne coordination entre l’établissement de soins et le médecin traitant.
Comment ces patients sont-ils suivis au CHCB ?
Nous travaillons beaucoup en collaboration avec le Dr Blot, qui est oncologue. C’est lui qui fait le suivi du traitement et même après, sur une période de 5 ans. Ils sont également suivis par les chirurgiens digestifs et dans notre service, nous pouvons reprendre nos patients en charge pour réaliser les endoscopies de contrôle. Le Dr Blot ou nos collègues chirurgiens digestifs peuvent revenir vers nous avant en cas de besoin.
Prescrivez-vous un accompagnement ou des soins complémentaires à vos patients pendant leur traitement ?
Oui. Nous travaillons beaucoup avec les psychologues et les diététiciennes, les kinésithérapeutes aussi.
Le suivi diététique est important, ils sont suivis pendant leur hospitalisation par les diététiciennes mais également à leur sortie, nous leur donnons leurs coordonnées. Nous travaillons beaucoup avec Anne-Claude, qui intervient aussi en oncologie. Cela permet de tisser un lien supplémentaire entre notre service et celui d’oncologie, d’assurer un bon suivi des patients, une certaine continuité dans leur parcours de soins au CHCB.
Quelles sont les probabilités de rémission sur ces pathologies ?
Les probabilités de rémission dépendent du type de cancer, de sa localisation, de son stade… Pour le cancer colorectal, détecté suffisamment tôt, il peut être guéri dans 9 cas sur 10.
Le meilleur remède, c’est la prévention par le dépistage.
Si c’est détecté tôt, la rémission est quasiment assurée.
Quel est le meilleur suivi médical préventif que vous pouvez conseiller ?
La meilleure protection, c’est le dépistage. Surtout pour le côlon. Je vois des patients de 60-70 ans qui n’ont jamais fait de tests. Alors qu’à partir de 50 ans, un test tous les deux ans est recommandé. Ça ne coûte rien et ça peut vous sauver la vie.
Quand il y a des antécédents familiaux, je préconise de réaliser une coloscopie à l’âge de 40 ans. Le dépistage par coloscopie doit commencer à 40 ans ou 10 ans avant l’apparition du premier cas de cancer du côlon dans la famille. Une coloscopie doit être répétée au moins tous les cinq ans si les résultats sont négatifs.
Pour le foie, il n’y a pas d’âge. Dès qu’il y a une cirrhose, un suivi tous les 6 mois est nécessaire. La prévention est donc de les sensibiliser par rapport aux facteurs de risques : Alcool, obésité, hépatites virales etc…
Orientez-vous les patients en rémission vers des activités particulières ?
En fonction du type de cancer, chaque patient(e) a un loisir, un plaisir, une activité pour maintenir un lien social… C’est impératif pour s’évader, détourner son attention de la maladie et améliorer son moral. C’est un combat qui nécessite d’être bien mentalement. Soigner sa santé mentale, ça fait partie du traitement finalement.
*Les IPP sont une classe de médicaments empêchant l’estomac de produire les acides responsables des ulcères.